Naissance du "Winged Warrior"

Samedi matin, j'arrive chez Tommy au volant de ma Dodge Charger 500. Je n'ai pas pour habitude de débarquer à cette heure là chez mes gars mais Tommy est prévenu et j'ai besoin de lui pour quelques recherches. Je ne connais personne d'autre plus calé en Mopar et je vais avoir besoin de ses connaissances ainsi que de ses archives techniques pour la réalisation de la Superbird. Avec un projet de cette envergure, je savais d'avance qu'il ne refuserais pas de m'aider. Même si c'est un clone que je vais créer, la Plymouth Superbird de 1970 reste un mythe, une icone de l'ère des muscle cars et c'est toujours un plaisir d'en voir une évoluer sur la piste. Je gare ma Dodge en bas de son appartement et la verrouille avant de monter le rejoindre. Lorsque je frappe à sa porte, il m'accueille avec une tête déterré qui m'indique qu'il a bien fait la bringue une nouvelle fois hier soir. Il est autant soigné avec sa caisse qu'adepte du laisser-aller sur son train de vie mais je suis mal placé pour le juger, ça m'arrive encore relativement souvent de me bourrer la gueule comme un sale lors d'une soirée si on la passe dans le coin de ma villa et que je n'ai pas besoin de rentrer en voiture.

Salut Tommy.

Pas trop fort s'te plait... Y'm'faut un caf', j't'en sert un?

Ouais.

J'entre et referme la porte alors que Tommy est en train de partir vers la cafetière et qu'une jolie blonde à moitié nue débarque dans le salon pour récupérer ses fringues en me lançant un "Salut!" joyeux. Je lui réponds par le même mot avant qu'elle ne disparaisse dans la chambre. J'ai à peine le temps de réaliser que Tommy reviens avec les deux cafés.

Sans sucre pour toi, c'est ça?

Parfait! Tu t'emmerde pas dis moi!

Hein?

La p'tite que je viens de voir passer.

Oh! Tara? C'est un bon coup mais elle cause trop le lendemain matin. Elle va partir, je lui ai dit qu'on avait du boulot. Tu a besoin de quoi au juste?

Tommy s'assoie à table devant son ordinateur portable et commence à pianoter tandis que je pose ma veste des 66ers sur une chaise avant de m'asseoir à coté de lui.

Il me faut tout ce que tu peut avoir comme caractéristiques technique des Superbird de 1970 en Nascar. Je ne veux pas travailler comme pour mes autres voitures à prendre un véhicule de série et l'améliorer. Cette fois je veux construire une voiture de course et l'adapter à la circulation.

Je vois, je te sors ce que j'ai.

Je le laisse copier les fichiers en silence tout en buvant mon café. C'est à ce moment là que Tara réapparait dans le salon. Elle parle un instant à Tommy qui lui réponds d'un air distrait sans lever le nez de son écran. Visiblement elle est habituée puisqu'elle me salue une dernière fois et s'en va sans autre forme de procès. La copie des fichiers prends plusieurs minutes sur le CD une fois que Tommy a fait le tri et nous commençons à discuter des meilleures options pour la voiture. Comme je m'en doutais, il me propose de partir des plans d'origine et de les appliquer avec les techniques modernes. Elle étaient capables de pointes de vitesses à plus de 300km/h en 1970 sur les ovales avec des moteurs d'à peine 550ch alors que le Hemi dans ma Charger 500 en fait plus de 800. En construisant un châssis tubulaire sur mesure elle serait capable de faire encore mieux mais cela va prendre du temps, tant pis il me faudra être patient.

Ce n'est qu'en fin de matinée que je quitte l'appartement de Tommy avec le CD en poche. Ma première destination est Trinity Performance pour y déposer les infos et pour mettre de coté tout risque je copie tous les fichiers sur le serveur du garage avant de commencer à me plonger dans les vidéos et les fiches techniques. Ces voitures étaient de vraies bijoux taillés pour la piste et j'ai hâte que la mienne soit prête.

Cela fait trois semaines que je me documente sur les Plymouth Superbird de 1970 pour faire de la mienne un monstre qui ne renie pas ses origines. Après avoir longuement hésité sur le moteur à lui offrir, j'ai opté pour un bon vieux Hemi 426 mais pas celui de la vieille époque. Plutôt une version moderne et optimisée qu'Harry est en train de réaliser, cela fait quatre jours qu'il travaille dessus à plein temps à essayer de tirer le meilleur de chaque organe du moteur. Tout est équilibré, poli, repensé dans un seul but, la performance. Je vais en chier dans la circulation mais sur la piste elle sera quasiment imbattable. De toute façon, le cahier des charges de j'ai fixé à mes gars pour cette voiture est simple. Il faut qu'elle puisse passer les contrôles d'homologation SCCA. En clair, je ne construis pas une voiture de série performante mais bien une pure voiture de course. Elle sera dépouillée au maximum, pas d'insonorisation, pas de confort, pas de garnitures, juste de la brutalité à l'état pur pour un résultat imparable sur la piste. Peut être même que je prendrais comme prétexte de l'essayer pour aller faire un tour à la El Mirage ou Bonneville. Ca fait un moment que ça me trotte dans la tête et cette caisse pourrais bien m'y pousser pour de bon.

Le kit carrosserie est arrivée hier de Georgie et la caisse devrait sortir du sablage dans la semaine. On pourra ensuite attaquer la construction du châssis tubulaire autour de la caisse autoporteuse comme les gars de chez Petty Enterprise le faisaient en 1970 mais avec des matériaux de meilleure qualité et une meilleure connaissance de la dynamique et de l'équilibre des châssis. Même ma Camaro noire de 1969 risque de faire pâle figure à coté de la Superbird lorsqu'elle sera fini mais ce n'est pas pour demain. Il reste encore pas mal de travail à faire dessus pour la remettre sur la piste et je ne peux pas mettre mes gars dessus à plein temps. Il faut que les voitures des clients avancent d'abord pour faire rentrer du fric dans les caisses du garage.

Pour l'instant, j'en suis encore au début du projet à faire en sorte que la base soit saine pour pouvoir travailler dessus car après avoir pourri pendant des années à la casse, il y a déjà du boulot et Tom m'a bien confirmé que plusieurs panneaux de la caisse allaient devoir être découpés et reformés. Harry avait raison, je suis vraiment taré de m'attaquer à un projet comme ça. En bossant seul dessus comme je l'ai fait sur ma Camaro noire, cela m'aurait pris des années mais je vais pouvoir atomiser tout ce qui roule à Trinity City avec et elle servira aussi de vitrine du savoir faire de la Hot Rod Factory même si le bouche à oreille nous a déjà amené plus d'un client.

En fin de journée, Harry débarque dans mon bureau pour me faire un rapport de l'avancée des travaux du moteur. Il est bien le seul que je connaisse qui en sache plus que moi sur l'art de régler un moteur pour en tirer le moindre cheval vapeur disponible. Ce n'est pas pour rien que je lui ai confié le futur Hemi de ma Superbird et les réglages de la plupart de mes bagnoles.

J'ai bientôt fini le remontage mais les coussinets de bielles ne sont pas les bons.

Qui c'est planté?

J'ai vérifié la commande, l'erreur ne vient pas d'ici. J'ai fait une réclamation chez le fournisseur, ils nous envoient les bons d'ici la fin de la semaine. Si on ne les a pas vendredi à midi, j'irai débarquer chez eux personnellement.

Commence pas à t'énerver, elle n'est pas encore sur les roues, on a le chassis à construire d'abord. Les coussinets peuvent attendre quelques jours.

Je voudrais le boucler rapidement qu'on puisse l'utiliser pour construire le châssis une fois qu'il sera rodé au banc. Ca évitera un démontage.

Il n'a pas tort, plutôt que de travailler avec un bloc nu, c'est plus intéressant de travailler avec le moteur monté et prêt à tourner pour gagner du temps. Surtout que ce projet va surement prendre plusieurs mois.

Je suis passé à l'atelier ce matin et le châssis est presque terminé, ce qui veux dire que le projet avance à grand pas et que le plus lourd est fait. J'ai vu grandir ce bébé sur le marbre petit à petit en me disant chaque jour qu'un monstre est en train de naitre. Je ne connais aucune voiture au monde qui puisse rivaliser en terme d'image et de performance vintage pour un amateur de muscle car. Ce n'est pas pour rien de Jeff roule et cours avec un de ces bijoux, à la différence de taille que la sienne est une des 2000 véritables Superbird alors que la mienne est un clone sur base de Roadrunner. Cela me donne moins de scrupules à en faire une caisse capable de tout sur la piste. Une véritable Superbird mérite une restauration, la mienne mérite ce qui se fait de mieux pour pouvoir perdurer le pedigree des Superbird.

Harry et les gars ont anticipées certaines consignes et je ne leur jetterais pas la pierre. Ils connaissent leur boulot, comme le Hemi reculé au plus près de la cloison pare-feu derrière le train avant Magnum Force pour équilibrer les masses de la voiture. Ce sont des détails infimes comme cela qui distinguent une voiture performante d'un monstre capable de tout sur la piste. De toute façon, si je ne faisais pas confiance aveuglément à mes gars pour ce qui est de la construction de cette voiture, je n'aurais pas pour projet d'essayer de battre mon record personnel en vitesse de pointe à El Mirage ou Bonneville. Le moindre détail mal pensé ou fait de travers peut m'envoyer valser en petit morceau et rejoindre le grand constructeur aux vitesses que cette caisse sera capable d'atteindre. Avec le niveau de performance que je pense pouvoir attendre avec ce projet la moindre approximation rimera avec sanction et plus vite qu'on ne le crois.

Dans quelques jours, elle sera sur roues et commencera le travail des carrossiers. Andy s'occupera de la peinture comme pour mes deux Camaro de 1969, je lui fait confiance pour me faire quelque chose de classe qui en jette sans pour autant tomber dans les décorations de noël. Il a une connaissance des peintures traditionnelles assez poussée et il est capable de réinterpréter cet héritage de façon très agréable à l'œil. Je lui fait autant confiance pour la peinture que je fait confiance à Harry pour le châssis et le moteur. Avec des gars comme ça, c'est vraiment seulement par plaisir que je met parfois la main à la pâte le soir, ils connaissent suffisamment leur boulot pour que je n'ai pas besoin de superviser l'avancée des travaux.

C'est le grand jour, Andy devait finir la peinture de ma Superbird vendredi soir alors que j'étais occupé à la plage. J'ai crevé d'envie tout le weekend de la voir et c'est empli d'une impatience totale que je me dirige vers Trinity Performance au volant de ma Corvette. Dans quelques heures j'aurais un joli chèque à signer et j'aurais un monstre d'acier et de carbone près à atomiser n'importe quelle bagnole de la ville. La journée est belle, parfaite pour des tests routiers, mais pour l'instant c'est surtout parfait pour conduire les cheveux au vent. Je ne regrette absolument pas l'achat de cette Corvette mais je suis bien forcé de me rendre à l'évidence, niveau performances elle n'arrive pas au moyeu de la bête de course que je vais sortir de l'atelier dans quelques heures.

Lorsque j'arrive au garage, je repère la Cougar de Tom et la Challenger d'Andy. Pour que les deux soient là en même temps aussi tôt, il s'est passé quelque chose et je n'aime pas ça. Je gare ma Corvette sur ma place réservée et me dirige ensuite directement vers la Hot Rod Factory sans passer par l'accueil ou mon bureau. Il faut que je tire ça au clair le plus vite possible. Andy bosse sur l'équipe d'après-midi et Tom arrive plus tard normalement. J'ai soudain un mauvais pressentiment. J'avais tellement hâte de la sortir pour l'essayer que j'en avais oublié tout ce qui peut merder sur une voiture quand on s'attaque à un chantier de cette ampleur. A mon entrée dans l'atelier, je la vois, brillante, lustrée par Andy et Tom, trônant fièrement au milieu des autres voitures en chantier. Je ne savais pas du tout ce que ces deux as du pistolet à peinture et de l'aérographe avaient prévu pour ma Superbird mais je savais à l'avance que le résultat serait à la hauteur.

Tom : Elle te plait Coddy?

Elle est magnifique les mecs.

J'en fait le tour sans arriver à en détacher les yeux. Les jantes Nascar noires chaussées de pneus slicks ajoutent la touche parfaite pour compléter la livrée noire et bleue. Magnifique n'est pas le terme adéquat mais je ne trouve rien qui puisse exprimer à quel point je la trouve parfaite. Un style qui reflète parfaitement l'age d'or de ces voitures hors du commun et une mécanique digne des meilleures voitures taillées uniquement pour la piste, un cocktail à la saveur puissante de la victoire. Je me redresse vers Tom et le regarde avec le regard d'un gosse qui vient de trouver le plus beaux des cadeaux sous le sapin.

Où sont les clés?

En guise de réponse, il me jette un trousseau par dessus le toit de la Plymouth que j'attrape d'un geste fébrile. Je regarde un instant les clés au creux de ma main en hésitant un instant. Même pour un pilote expérimenté comme moi, c'est un sacré challenge d'arriver à maitriser un monstre pareil et c'est avec une petite appréhension que je m'installe au volant. Mes doutes disparaissent alors que je démarre le Hemi 426ci qu'Harry a réussi à préparer. 835ch de pure puissance américaine, le prochain qui me dit qu'un V8 US a un rapport cylindrée/puissance à chier je lui mettrais les chiffres de ce moteur atmosphérique sous le nez. Même au ralenti, la ligne crache trop de décibels pour qu'on puisse parler normalement, c'est bien une voiture de course à peine civilisée, j'ai l'impression d'être assis dans une caisse de résonance. De toute façon, il n'y a pas la moindre concession au confort dans cette voiture, elle est taillée pour la vitesse et la performance, point barre!

Je passe la première avec le cœur qui bat la chamade, j'ai l'impression d'être redevenu un gamin avec cette caisse. Je ne suis jamais allé aussi loin pour une caisse et je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre. Je n'ai pas la prétention d'être meilleur que le grand Richard Petty lorsqu'il conduisait ces monstres sur les ovales de la Winston Cup en 1970 et je dois avouer que cette voiture me fait un peu peur. Pas parce que je ne me sens pas capable de la maitriser mais parce que je vais devoir repousser les limites de mon talent pour pouvoir en tirer le meilleur parti. Cette voiture est bien plus rapide et performante que n'importe laquelle que j'ai pu conduire jusque là. Même ma Camaro noire avec son small-block de Nascar ne l'est pas autant, même si son aérodynamisme à été repris de fond en comble, cette Superbird à été taillée pour la piste dès sa naissance sur la planche à dessin.

Je quitte l'atelier et la sueur me perle déjà au front, je ne sais pas à quoi m'attendre avec ce monstre de puissance. Les premiers tours de roues sont un calvaire dans la circulation. A la moindre sollicitation, les chevaux s'emballent et propulsent la Plymouth sur l'obstacle devant. Je ne cherche pas plus longtemps et pique directement au sud pour quitter la ville et trouver des routes plus dégagées. Sur le premier bout de ligne droite à la sortie de la ville, j'écrase la pédale de droite sans pour autant rétrograder mais cela ne suffit pas à museler la puissance et la Superbird me catapulte en avant à tel point que j'ai l'impression que la route se rue sur moi. Je me calme rapidement pour éviter la casse, contrairement à mes autres voitures, celle là va me demander de l'entrainement pour pouvoir la maitriser. Il faut vraiment que je l'emmène à une Speed Week pour tester sa vitesse de pointe. Je ne sais pas jusqu'où va me mener cette voiture mais ce qui est sur, c'est qu'on a jamais vu un truc pareil à Trinity City.

Spoiler: