Un certain Gareth Stillman [Solo]

Si la Marina était bondée en été avec l'affluence de touristes venant profiter de la chaleur d'un après-midi ensoleillé, l'hiver les quais du port de plaisance étaient très calmes. On y croisait surtout les riverains qui promenaient leurs chiens ou leurs épouses, ou des mécaniciens venant procéder à quelques retouches sur les bateaux. Ou encore des biznessmen ayant choisi cet endroit pour discuter d'un gros contrat.

Ce matin-là, Jack avait garé sa Porsche sur le parking du Macumba, et était venu à pied jusqu'aux quais. Que venait-il faire là, les Flamz-up n'en savaient rien, cela ne les concernait pas. Ce jour-ci, il traitait ce genre d'affaire qui ne concerne plus le monde du tuning. Aujourd'hui, c'était le Jack businessman qui se montrait.

Un businessman plus que jamais concentré sur ses affaires, bien décidé à ne plus songer à la tournure qu'avait prit sa relation avec Milly, relation probablement achevée pour de bon. Il avait d'abord regretté son geste, puis à force d'y repenser, s'était convaincu petit à petit qu'elle ne l'avait pas volé. Facile de prendre un homme pour un salaud, quand on fait tout pour l'amener à sortir de ses gonds. Mais ça ne suffirait plus à faire perdre au jeune homme l'estime qu'il avait pour lui-même.

Atteignant les quais, Jack descendit quelques marches pour s'approcher d'un hors-bord sur-lequel se trouvaient deux hommes. L'un d'eux, obèse et barbu, prenait ses aises, assis sur une chaise à vider une bouteille de porto alors qu'il n'était que dix heures du matin. L'autre était un mécanicien, en train de régler une panne du moteur.
Ne prêtant pas attention au mécano, Jack se dirigea vers le gros type, lui tendant la main. L'homme obèse se leva aussitôt, les deux échangèrent une poignée de mains, puis Jack dit :

- Très heureux de vous rencontrer, monsieur Gareth Stillman.

- Ah putain Jack, pas tout le tralala de vous et machin monseigneur avec moi, té. Je connaissais ton frère, on va pas s'prendre le chou avec des formules de politesse.

- Et bien, moi je dis que si. Bon, monsieur Stillman, je n'ai pas vraiment envie de perdre de temps. Si nous allions à l'essentiel, ça m'arrangerait.

Gareth resta bouche bée. Il avait entendu dire que des deux Walston, Jack était en gros le "baba cool" et Matthew le "biznessman aigri", mais il avait l'impression que la tendance s'inversait. Bah, on avait dû lui dire des conneries.
Jack, pour sa part, fixait Gareth avec un certain dégoût. Rien chez lui ne ressemblait au personnage qu'il avait imaginé.
C'était la première fois qu'ils se rencontraient en personne, après plusieurs coups de fil au sujet de cette "affaire" qu'ils voulaient monter petit à petit. Il avait choisi Gareth parce qu'on disait que ce gars était le meilleur. Il avait de plus bien connu Matthew. Et maintenant, Jack se retrouvait face à un type obèse, sale et alcoolique.
C'était la même impression qu'avait eue Matthew quelques années plus tôt lorsqu'il avait fait appel aux services de ce mercenaire. La suite avait permit au mac de changer son opinion, en sera-t-il de même pour le jeune tuneur ?

Gareth se rassit et fit signe à Jack de s'asseoir sur un autre siège. Il lui tendit la bouteille, mais Jack répondit par un hochement de tête négatif. Puis Gareth demanda au mécano de les laisser, et ce dernier s'exécuta sans tarder.

- Putain de moteur de mes deux, maugréa Gareth. On m'a encore vendu de la camelote. Bah, je couperais les couilles au connard qui m'a arnaqué.

- Vous disiez avoir des informations intéressantes, coupa Jack.

- Ah, oui... il y a du nouveau, en effet. D'abord, on m'a confirmé la date et l'horaire, ça aura bien lieu entre deux et trois heures du matin, le 25 janvier. Si les conditions météorologiques correspondent bien aux prévisions, ça devrait le faire.

- C'est tout ? Vous m'avez demandé de venir parce qu'on vous a confirmé ce qu'on prévoyait ?

- Non, c'est pas tout, J... monsieur Walston. En fait, y'a une foutue couille dans le plan. Ils parlent de renforcer la sécurité, y foutre des mouchards, suivre le trajet, bref, un vrai programme.

- Si c'était si simple, j'aurais pas fait appel à vous, Stillman. Il me paraît normal que les détails doivent être repensés de façon régulière.

- Ouais, mais toute cette sécurité... c'est inhabituel. On croirait qu'ils se doutent de quelque chose.

- Dans ce cas, faut surveiller vos gars et faire gaffe à ce que vous dites. Et c'est pas en vidant vos caves que vous apprendrez à être muet.

Jack fusilla Gareth du regard, alors que ce dernier baissait la tête, conscient de son alcoolisme éhonté.

- Rassurez-vous, ajouta Jack, ce coup-ci vous n'y êtes pour rien. La raison de ce renforcement, c'est qu'il y a un petit plus à la cargaison.

Gareth releva la tête, prit par surprise. Jack était en train de lui dire que non seulement, il savait déjà tout ça, mais en plus il était mieux renseigné.

- Ce petit plus, c'est le magnat de l'immobilier Zachary Cameron qui en est la cause. Il a payé une fortune pour faire transporter sa caisse de Chicago à Atlantic City. Evidemment, il a pas envie qu'elle soit abîmée par les mauvais soins de je-ne-sais-quels gangsters...

- Ah, je vois... et...

- Et si vous aviez commit l'erreur de laisser fuir la moindre info sur ce qu'on prépare, poursuivit Jack sans se soucier de ce que Gareth voulait dire, croyez-moi que je vous couperais les couilles, avant que vous ne puissiez couper celles du type qui vous a vendu ce hors-bord. Aussi, à l'avenir, je vous demanderais d'éviter de forcer sur la bouteille...

Jack se leva, et tendit la main vers Gareth, qui tenait la bouteille de porto serrée contre lui. Jack le regarda, puis fixa la bouteille avec insistance. Gareth mit un moment à se décider, puis finit par la confier au tuneur. Celui-ci s'en empara, et la balança aussitôt par-dessus bord.

- Depuis que je contrôle ma part du réseau féroviaire sur cet Etat, je n'ai pas trop de mal à obtenir les informations nécessaires, Stillman. Pour votre part, je préfère que vous vous consacriez à l'équipement, et à la sélection de vos meilleurs équipiers pour ce travail. Les infos et la planification, ça me connaît, je m'en charge.

Gareth ne répondit pas. En fait, il s'était levé et avait couru sur le bord du bateau pour regarder sombrer sa malheureuse bouteille. Il se tourna vers Jack, et fixa le tuneur sans dire un mot, se contentant d'un signe de tête affirmatif, acceptant les conditions.

- Bien ! Nous nous recroiserons prochainement. D'ici-là, portez-vous bien.

Les deux hommes échangèrent une nouvelle poignée de mains, puis Jack quitta le hors-bord, reprenant le chemin du parking du Macumba où l'attendait sa voiture.
Les choses se mettaient en place, lentement, mais sûrement.

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