Une 66 pour le leader des 66ers

J'ai ramené ma Chevelle de '66 de la casse au garage pour enfin m'y mettre. Cette épave attends depuis assez longtemps à la casse et il est largement temps que je commence à m'en occuper. Elle mérite mieux que de continuer à pourrir dans l'entrepôt que mes voitures occupaient à la casse avant que je ne la cède aux 66ers. J'ai déjà en tête ce que je vais faire dessus. Je veux une voiture utilisable au quotidien mais capable de se battre avec les meilleurs sur la piste en cas de besoin. Le même 572ci que dans mon Impala de 1996 et des suspensions Air Ride pour commencer, intérieur cuir avec sièges finition baquet et une sono qui claque fort.

Il va y avoir un max de boulot dessus et en la descendant de la remorque attelée à mon pickup je m'en rends pleinement compte. Heureusement que je passe désormais toutes mes journées ici et que je laisse mon gérant s'occuper de la concession. Ça me permettra de garder un œil sur l'avancement de ma Chevy et d'y mettre la main à la pâte en cas de besoin.

L'épave descends doucement de la remorque et mes gars rentre ce qui sera bientôt un bolide dans l'atelier de la Hot Rod Factory pendant que je détache la remorque et vais garer mon F-350 sur une place de parking assez large. Il me permet de tracter à peu près n'importe quelle charge mais ne joue pas vraiment dans la catégorie poids plume. Tant pis, j'adore quand même ce truck avec sa gueule de brute.

Je descends ensuite de mon pickup et entre dans l'atelier. Elle a vraiment mauvaise mine en ce moment, mais ma Camaro de 69 était guère en meilleur état lorsque je l'ai achetée. Si Darrell m'a appris une chose c'est qu'une voiture peut toujours être retapée. Et puis je n'ai pas le cœur à la laisser comme ça plus longtemps. J'ai envie de la remettre sur la route et de la conduire enfin après tout ce temps.

Musique Maestro

Une tasse de café à la main, j’écoute Bob Dylan, assis sur les roues empilées qui finiront sur ma Chevelle en regardant son châssis déjà renforcé et modifié. Les trains roulants avant et arrière sont dignes d’une voiture de course dans le plus pur style Pro-Touring. Le boulot avance doucement mais il avance et mes gars font ça dans les règles de l’art. De toute façon, je ne leur laisse pas le choix, dès qu’ils bossent dessus je passe derrière pour regarder la qualité du boulot. Ils savent que je leur fait confiance, je ne fait pas ça d’habitude, mais cette fois je ne peux pas m’en empêcher, de plus ça me laisse une excuse pour rester après la fermeture.

Je préfère cet univers qui sent l’huile, l’essence et le métal chaud plutôt que le silence glacial de ma maison. Je supporte de moins en moins d’habiter seul. Depuis le départ de Jenn, j’ai l’impression chaque jour que les murs s’éloignent et créent un vide encore plus grand que la veille. Dans ma situation, certains se seraient mis à boire, je préfère me jeter dans une tasse de café en pensant à ce qu’il reste à faire sur ma Chevelle. Le mécano arrive à garder le dessus par rapport au dépressif. De toute façon, avec les responsabilités au sein du gang et du garage, sans parler de la concession, je n’ai ni le droit, ni le temps, de me laisser aller.

Je m’allume une clope avec mon Zippo chromé, le clic du capot résonne dans l’atelier désormais vide à cette heure là. La clope au bec, je regarde le logo des 66ers gravé sur le briquet. Je suis fier de faire partie de ce gang, comme je l’ai toujours été depuis que je les ai rencontrés à Atlantic City il y a presque dix ans maintenant. Ces deux chiffres accolés représentent tous ce que nous sommes, des rodders amoureux des grands espaces et des voitures ou motos qui vont avec. Ma Chevelle sera digne de mes autres bagnoles, même si j’ai laissé tomber l’idée du 572ci, elle aura quand même un moteur capable de cramer du pneu aussi vite que les incendies ravagent la Californie en été. Je ne sais pas encore ce que je vais lui commander comme moteur mais ceux de Mast Motorsports me tentent bien. Ils ont des big blocks compressés qui ont l’air intéressants, je vais essayer.

J’ai l’air d’un putain de vautour perché sur ma pile de roues avec les avant bras posés sur les cuisses, mais je m’en fous, à cette heure là je suis seul au garage. Ca m’aide à réfléchir au meilleur pour cette caisse. Elle fera partie des meilleures, tout comme ma Charger 500 et ma Camaro, mais ce niveau de performance interdit toute approximation. Il faut encore fignoler le châssis avant de le passer en peinture et s’occuper des freins. Ensuite je passerais au moteur et à la transmission. Pffff, elle est encore loin de la piste… mais depuis le temps qu’elle attends, et moi aussi, on est plus à quelques semaines près.

Sans m’en rendre compte, je me mets à siffler pour accompagner la chanson. Ce CD aura tourné des centaines de fois, c’est celui que je mets à presque à chaque fois que je travaille sur une de mes caisses. Ca me détend et m’aide à me concentrer.

Musique

Une bonne semaine c’est passé depuis que j’ai touché à ma Chevelle pour la dernière fois. Depuis la dernière fois, la caisse est sortie de peinture et à retrouvé sa place sur le châssis alors que les freins et les roues sont maintenant en place. Ce soir ce sont les Rolling Stones qui vont me tenir compagnie pour finir le moteur avant de le monter dans le berceau avant. Il est arrivé en caisse ce matin mais je compte bien l’examiner sous toutes les coutures avec un démontage partiel pour savoir si les gars de chez Mast Motorsports connaissent aussi bien leur affaire qu’ils le disent. Avec un moteur de chez Jegs ou Jon Barrett, je l’aurais monté sans hésiter et sans rien démonter, mais c’est la première fois que j’en achète un chez Mast. Leurs moteurs ne sont pas donnés mais sur le papier ils ont l’air de cracher un bon troupeau intéressant d’étalons.

Je suis vêtu d’un vieux jeans et d’un t-shirt avec le logo de la Hot Rod Factory en gros dans le dos avec le même en rappel sur la poitrine. Ce moteur est neuf, il n’y a aucune raison que je me salisse. Une fois fixé sur un support adéquat, je vais chercher ma servante puis m’attaque aux caches culbuteurs pour vérifier si les données de chez Mast sont bien celles qui sont présentes sur ce moteur.

Tout en bossant sur le moteur, je siffle pour accompagner les Stones. Je suis de bonne humeur, ma Chevelle avance et je suis en train de bosser sur un 454ci qui crachera bientôt sa hargne sous le capot d’une bagnole qui m’appartient. Ce LS 454 SS de 700ch pourra propulser cette Chevelle comme un missile sol-sol. Ca reste un ton en dessous de ma Camaro ou de ma Charger 500 mais largement suffisant pour battre n’importe quelle caisse de la ville. Mais un bijou pareil avec son compresseur réclame un écrin travaillé pour s’exprimer comme il faut, j’ai de la chance, j’ai ce qu’il faut derrière moi, le châssis est prêt à l’accueillir. Je vais en avoir pour plusieurs soirs avec tout ce que je veux vérifier, mais au moins je serais sur de mon coup.

Un bon moteur sur lequel bosser, de la bonne musique pour me tenir compagnie, il ne me faut rien de plus pour être content ce soir. Ca me permet de ne pas penser une fois de plus à cette foutue baraque vide qui me fout le cafard quand j’y reste trop longtemps. Il me faudrait de la compagnie mais je ne connais pas une seule femme assez cinglé pour supporter un sale gosse dans mon genre. Je comprends Jenn quand elle me gueulait dessus à cause des courses de voitures le soir mais j’en ai besoin, j’ai ça dans le sang, ce n’est pas pour rien que je passe mes soirées au terrain vague ou ici au garage à bricoler des voitures.

Mon réveil sonne et me tire de mon rêve. Jenn était à nouveau ici avec moi, à nouveau ou encore ? Difficile à dire dans un rêve, mais me réveiller et prendre conscience que ce n’était qu’un foutu rêve me donne une humeur massacrante. Il va bien falloir que je comprenne un jour qu’elle est partie pour de bon cette fois et que je peux tirer un trait sur une vie commune avec elle. Une avocate carriériste comme elle ne peut pas se compromettre avec un délinquant de la route comme moi, même si je commence à regagner un visage respectable avec mes entreprises. Le réveil en fait les frais quand je lui mets une grande claque pour l’éteindre.

Je me lève, parfaitement réveillé mais de très mauvaise humeur. Je pense que je vais changer mes projets et aller bosser au garage au lieu de la concession, mettre les mains dans le cambouis m’adoucira peut être la journée de merde qui se profile à l’horizon. Je me réchauffe un café et m’allume une clope avant de le sortir du micro-ondes. Mon petit déjeuner habituel, café et clope. Je regarde autour de moi et écoute le silence macabre qui me vrille les oreilles ce matin. Cette baraque me tape sur le système, j’y ai vécu avec Jenn et depuis son dernier départ, les pièces me semblent un peu plus grandes et vides à chaque jour qui passe. Je termine mon café et ma clope avant de balancer ma tasse dans l’évier sans ménagement. J’ai échappé de peu à la casse du mug mais je m’en fous, la journée a mal commencé et j’ai peur que ça n’aille pas en s’arrangeant.

Après une douche rapide mais sans m’être rasé, je m’habille d’un jeans passablement usé et d’un t-shirt barré du logo de l’association Goodguys. J’enfile une paire de basket et ma veste des 66ers puis quitte ma maison qui me colle le cafard pour me mettre au volant de mon Impala SS de 1996 et prendre la direction du garage. J’ai passé ma journée d’hier à la concession, j’ai besoin de sentir l’huile et l’essence au garage aujourd’hui pour me changer les idées. J’en ai ras la casquette de la paperasse et je ne suis pas d’humeur à en bouffer aujourd’hui. J’arrive au garage et viens garer ma berline sur ma place réservée le long du bâtiment administratif. J’en descends et vais directement à l’atelier, je compte bien commencer ma journée en bossant un peu sur ma Chevelle. Si les gars ont continué à bosser sur le même rythme que ces derniers jours, il ne devrait plus rester grand-chose à faire dessus.

Je m’arrête à la porte et regarde deux de mes mécanos fixer le capot sur ses compas. Les sièges sont en place ainsi que l’arceau et les harnais. Avec un peu de chance, ils ont déjà terminé mais ça m’étonnerais, cette foutue journée a trop mal commencée pour que ce soit le cas.

Vous en êtes où les gars ?

On fixe le capot et tu pourras la sortir. Harry a fini l’intérieur hier pendant que je terminais le faisceau électrique.

Finalement cette journée ne sera peut être pas aussi pourrie que je le prévoyais. Ils fixent le capot en place et le règle pour qu’il ferme et plaque comme il faut avant de ma laisser le champ libre pour l’essai sur route. Contact… je regarde les compteurs, rien d’anormal n’apparaît. Je lance le démarreur et le 454ci rechigne un peu à démarrer. Saleté d’injection, il faut amorcer tout le circuit alors qu’avec un carburateur il aurait suffit de pomper un peu sur l’accélérateur. Je tire un peu sur le démarreur et le big block démarre dans un grondement d’enfer à peine couvert par le sifflement du compresseur avec intercooler. Je mets quelques coups de gaz pour voir la montée en régime du moteur au point mort. Je pense que j’ai eu raison de remplacer le 572ci que je voyais au départ par ce 454 compressé. Il prend les tours presque comme le moteur de NASCAR monté dans ma Camaro de 69. Je sens que je vais me faire plaisir aussi avec celle là.

J’enclenche la première et pars pour l’essai inaugural de cette voiture qui est restée de longs mois à l’état d’épave dans mon entrepôt à la casse. Elle gronde à nouveau comme un fauve dans les rues de Trinity City. Bientôt j’irai courir avec au terrain vague.

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